lundi 8 décembre 2014

"Chasse à l'épaulard" de Williams Exbrayat



Pourquoi lire ce court roman policier disponible uniquement en numérique? Car le ton employé par l'auteur a quelque chose de jubilatoire. Maddog, un enquêteur privé, semble désabusé à propos de ses semblables et cela rend ses paroles délicieusement corrosives. 

Il est appelé pour une nouvelle enquête par son ex-femme : elle souhaite retrouver son nouveau mari (dont je vous tairais le nom pour ne pas gâcher le suspense...). Lui aurait-elle déjà fait peur, ironise Maddog ? 

Quoi qu'il en soit, notre enquêteur se retrouve parachuté à Pau au milieu d'anciens militaires reconvertis en barbouzes pour particuliers argentés, se prend des coups il faut le dire assez stoïquement et domestique - temporairement - une montagne humaine. Je vous laisse découvrir comment tout cela finira ! 

Pour ceux qui ont aimé Karoo de Steve Kesich


Editeur : Storylab
Date de parution : juillet 2014
EAN :  9782363152626
Prix TTC : 3,99 euros
Lien vers Youboox (lecture en ligne)

dimanche 7 décembre 2014

"Mines de cristal" d’Oxmo Puccino



Ces textes d’Oxmo Puccino, rappeur de son état, se lisent comme un recueil de poésie. Tel est le pari de cette publication.
Les mots se déroulent dans notre esprit, sans que nous les intellectualisions tous vraiment ; ils nous atteignent et nous touchent. 
Le plaisir des rimes et des sons se propage plus dans certaines pièces que d’autres mais il est certain que le rythme et les sonorités sont à l’honneur dans ces écrits. 

Oxmo Puccino ne lâche rien. Une certaine mélancolie envahit parfois le texte, mais ce qui se dégage principalement de ce recueil est la détermination de l’auteur à s’en sortir, à croire, à triompher de l’adversaire (la médiocrité ?) : 

« Je vais vous livrer ce petit secret, la vie devient ce que l’on en fait » (1) 

« Les yeux dans les cieux 
Les yeux dans les cieux je guette l’éclaircie ne cesse d’y croire car 
On me remercie j’ai gravé dans la pierre c’est ici l’enfer mais si 
T’avances avec le coeur sûr qu’on peut rien te faire » (2) 

Du rap à la poésie, un pari réussi. 


(1) « Mines de cristal », « Conte de fées », 2006, p. 23 
(2) « Mines de cristal », « Les yeux dans les cieux », 2007, p. 44


Editeur : Au Diable Vauvert
Date de parution : mars 2009
EAN :  9782846261982
Prix TTC : 5 euros

vendredi 28 novembre 2014

"Le Maître des illusions" de Donna Tartt



A la parution du Chardonneret en janvier dernier, j’ai eu envie de me pencher sur le premier roman de son auteure, Donna Tartt : Le maître des illusions. Le monde qui s'offre à nous ressemble d'abord aux tableaux peints par John Irving dans ses romans. C’est l’Amérique ! Les campus américains, les fêtes, les longues voitures, les grandes étendues, les pubs, la ville, le fantasme de la Californie, la campagne profonde. 
Mais le groupe d'étudiants que nous rencontrons est hors du temps. Ils suivent les cours d'un seul professeur, Julian. Lui n'accepte d'enseigner qu'à ces 6 étudiants et uniquement des Humanités. De traductions de grec à des dissertations de philosophie antique, ils font leur cursus et se forgent une identité forte, à part. 
On les observe d'abord de loin puis on apprend à les connaître en suivant les pas de ce jeune homme qui finit par intégrer le groupe. Il devient leur ami mais semble toujours garder une certaine méfiance à leur égard. Jusqu'au jour où il partagera un lourd secret avec eux... 
Dona Tartt mène subtilement son récit, avance petit à petit les pions, distille le mystère pages après pages. D'où vient ce sentiment d'étrangeté ? Qui manipule qui et que s'est-il vraiment passé ? Il ne s'agit ni d'une enquête policière ni d'un roman fantastique et pourtant nous sommes happés par ce mystère qui plane. C'est fin, dépaysant et inquiétant à la fois. Les personnages me trottent encore dans la tête...


Editeur : Pocket
Date de parution : septembre 2012
EAN :  9782266188739
Prix TTC : 8,40 euros
Acheter en numérique : Acheter

vendredi 17 octobre 2014

"L'emprise" de Marc Dugain



De « Borgen » à « House of cards », la télévision s’est emparée de la politique qui regorge de cynisme et d’opportunisme. Marc Dugain l’incarne ici dans un roman. Tous les personnages que nous suivons au fil des chapitres appartiennent au milieu politique et à l'univers du renseignement français. Des élus en place aux aspirants, de l’enquêtrice de terrain au patron du renseignement indéboulonnable quelle que soit la tendance politique au pouvoir, ils jouent tous un rôle dans ce jeu de l’oie finalement très codé et organisé. Le lecteur découvre un personnage, entr’aperçoit des éléments de sa vie privée, mais très vite il passe à un autre sans comprendre d’abord le lien entre eux mais en nouant petit à petit les fils de cette tragédie grecque sans cesse renouvelée et cependant sans fin - voire sans issue. Car la surprise ne vient finalement plus du caractère des personnages en présence - le cynisme est la loi - mais de quelle révélation va apparaître en pleine lumière, avant quelle autre et surtout pourquoi elle est révélée à ce moment-là et pas à un autre. Nous sommes à la fois dans le règne de l’immédiateté, elle fait loi aujourd’hui, et du calcul des jeux de pouvoir. L’écriture incarne bien cet univers en faisant le choix de ne pas colorer la fiction de tensions amoureuses ou violentes - c’est selon - comme on le voit souvent dans les séries télévisées. Le texte est écrit au présent. Le ton est plutôt froid. Chaque personnage joue son rôle. A quelle distance du réel ?



Editeur : Gallimard
Date de parution : avril 2014
EAN :  9782070141906
Prix TTC : 19,50 euros

dimanche 5 octobre 2014

"Le liseur de 6h27" de Jean-Paul Didierlaurent



Cette fable moderne nous compte l'histoire d'un ouvrier qui travaille dans une usine où une Machine, digne de celle qui anime Victor Hugo dans Les Misérables, avale des quantités astronomiques de matière - dont on saura bientôt que c'est du papier - et qui lit, tous les matins, des feuilles sauvées in extremis des dents acérées de ce monstre vorace. Il se trouve que ce papier, ce sont des livres, et que les pages qu'il lit - à haute voix - dans le RER de 6h27 sont des extraits de romans, de manuels de jardinage ou encore d'essais politiques. Alors oui, il lit à haute voix dans le RER (on en rêverait) et oui, le gardien de son usine, toujours vissé à son siège dans la guérite d'accueil, ne parle qu'en alexandrins. Mais cette fable a de fait quelque chose de savoureux, baignant d'idéalisme amoureux de littérature. Morale de l'histoire: la lecture partagée crée du lien et enchante le quotidien. A bon entendeur! 
Pour ceux qui ont aimé Ensemble c'est tout d'Anna Gavalda ou La liste de mes envies de Grégoire Delacourt.


Editeur : Au Diable Vauvert
Date de parution : mai 2014
EAN :  9782846268011
Prix TTC : 16 euros
Acheter en numérique : Acheter

lundi 25 août 2014

"La Vérité sur l'Affaire Harry Québert" de Joël Dicker



Ce prix Goncourt des lycéens 2012 est un véritable « page turner » : une fois entamé, il est très difficile de s’arrêter de le lire - ô grand mal cela nous fait ! Il plaira à ceux qui aiment les romans policiers mais également à ceux qui trouvent que les polars se ressemblent un peu trop entre eux. L’affaire met en scène un auteur à succès, Harry Québert, ayant pris sous son aile un jeune auteur, Marcus Goldman, devenu lui aussi très célèbre grâce à un premier roman et qui reprend contact avec son ancien maître face à l’angoisse de la page blanche et à la menace - juridique - de son éditeur : il doit écrire son second roman comme prévu dans le contrat. Peu après son séjour dans la maison de Goose cove, où Harry habite depuis ses 34 ans, un cadavre est déterré dans le jardin et son propriétaire est accusé du meurtre : le manuscrit de son roman Les Origines du mal a en effet été retrouvé dans le sac à main de la jeune Nola, disparue depuis plus de 30 ans. Marcus accourt à nouveau à Aurora et se met en quête de la vérité pour innocenter Harry. Il décide bientôt - sur les conseils de son agent et de son éditeur - que son second roman portera sur l’affaire Harry Québert. Ce qu’il y a de beau dans ce texte est à la fois la capacité de Joël Dicker à faire rebondir l’intrigue tout au long du roman - arrivé au mitan du volume, le lecteur est persuadé d’avoir tout compris et se demande comment l’auteur va pouvoir remplir les 200 prochaines pages - mais également le regard qu’il porte sur son livre en train de naître - le roman fait le récit de sa naissance au coeur même de ses pages, en égrenant à chaque début de chapitre les conseils d’écriture qu’Harry a pu prodiguer à Marcus alors apprenti écrivain. Joël Dicker joue le jeu jusqu’au bout en rédigeant les remerciements de Marcus Goldman à la fin de son deuxième ouvrage relatant la vérité sur l’affaire Harry Québert, tel Diderot introduisant Les Religieuses par une note censée être véridique sur les soeurs qui auraient écrit les lettres. En somme, ce livre est un plaisir dont vous auriez tord de vous priver.


Editeur : De Fallois
Date de parution : septembre 2012
EAN :  9782877068161
Prix TTC : 22 euros

Existe en poche (éditions De Fallois, 9,20 euros)

lundi 18 août 2014

"L'homme qui voulait être heureux" de Laurent Gounelle



C’est un livre pansement. Sa lecture nous pousse à nous interroger sur ce que nous aimons et sur ce que nous faisons de nos vies. Ce n’est pas à proprement parler un roman mais plutôt un récit dans la mouvance des livres de développement personnel. L’on se dit parfois, au fil de la lecture, que c’est peut-être un peu simpliste mais au fond les questions posées sont bonnes et méritent d’être nommées et méditées. Le touriste que nous suivons, bon Européen, en voyage à l’autre bout du monde dans des lieux paradisiaques, se met en tête de rencontrer un vieux sage habitant sur les hauteurs. Celui-ci accepte de le recevoir, lui pose des questions, le pousse à agir, petit pas par petit pas : il avait tendance à se dire qu’il pourrait très bien faire quelque chose mais il ne passait que très rarement à l’acte ; le sage le pousse à vraiment faire les choses. Etape après étape, il passe les barrières qu’il s’était lui-même posées. Surgit finalement un projet qu’il aimerait réaliser et l’on se plaît à penser qu’il le fera dès son retour. En somme, pour en en revenir à ce que nous devons tirer de cette lecture, c’est à nous d’agir, c’est à nous de prendre notre histoire en main pour profiter pleinement de l’existence : souvenons-nous que nous avons toujours le choix.


Editeur : Pocket
Date de parution : avril 2010
EAN :  9782266186674
Prix TTC : 6,20 euros

jeudi 17 juillet 2014

"Feu pour feu" de Carole Zalberg



Les mots de Carole Zalberg sont puissants et sobres, émouvants et précis.

Un père s’adresse à sa fille dans une longue lettre. Il tente de comprendre ce qui est arrivé. Il essaye de remonter aux racines du drame et nous transporte en Afrique, au coeur d’un génocide. Il gît parmi les morts, se cache. Il recueille doucement son enfant, encore bébé, dans les bras de sa femme, et part sur les routes, sa fille accrochée dans son dos, fourrant sa petite tête sous l’aisselle de son père. Ils traversent alors des contrées, des pays, des mers. Ils se font enfermer. Un feu se déclare. Ils s’échappent. Le but de leur voyage étant atteint, le père pense qu’ils sont enfin à l’abri. Pourtant, et ces lignes en témoignent, le fragile équilibre va être rompu.

Carole Zalberg soigne les mots qu’elle utilise, à la manière d’un père qui prendrait soin de sa fille. La tendresse transperce les pages et l’on entend presque la douceur de la voix de cet homme, pourtant plein d’interrogations quand il entreprend d’écrire cette lettre. C’est une belle écriture qui donne envie de lire à voix haute. 

Une dissonance revient pourtant régulièrement : c’est le lieu qui clôt leur voyage qui se dévoile petit à petit dans des sortes de parenthèses, dans des interruptions entre crochets, en langage parlé des cités, écrit en italique et sans ponctuation. C’est un autre flot de paroles qui s’écoule. C’est une autre personne qui s’interroge.

Petit par sa taille, ce texte est d’une belle puissance d’évocation. Je vous le recommande chaudement.


Editeur : Actes Sud
Date de parution : janvier 2014
EAN :  9782330027308
Prix TTC : 11,50 euros

mardi 24 juin 2014

"Faillir être flingué" de Céline Minard



Les héros de cette histoire portent tous des noms improbables. Les héros de cette histoire sont à la fois des survivants - si l'on voit les choses de notre point de vue d'homme moderne, assistés par les multiples outils que nous avons créés - et des hommes touchant du doigt la Liberté. 
Ils plongeant à corps perdu dans les grands espaces et dans la Nature et sont à deux doigts d'y rester - soit par attraction pour la vie au grand air (Elie chez les Indiens oubliant presque sa culture d'origine) - soit subissant les dangers du grand ouest - crues, pluies formidables et autres attaques de convoi par la bande à Quibble.
D'hommes seuls ou en petits groupes naîtra peu à peu une communauté. Car tous convergent vers la ville nouvelle qui n'a pas encore vraiment de nom, perdue quelque part dans le Grand Ouest américain. Tous s'y arrêteront d'abord momentanément puis ils finiront par y rester jusqu'à l'acte final qui fondera réellement cette communauté, faisant front comme un seul corps pour l'un d'entre eux. 
Ce qu'il y a de vraiment réjouissant dans ce texte est la cohabitation instinctive des "conquérants", des hommes "blancs", avec les différentes tribus indiennes. Il n'y a pas d'opposition nette comme la caricature le montre trop souvent, entre cowboys et Indiens. Quelle différence y a-t-il entre Elie, volant le cheval de Bird Boisverd en plein milieu du désert alors que ce dernier dormait, et des Indiens effrayant un troupeau de vaches de passage sur leur territoire pour en récupérer quelques unes? Toutes ces personnes cohabitent, s'allient ou s'affrontent, sans distinction d'origine, tous plongés dans le même bain social, se battant pour un territoire. 
Ce livre est un western et l'on s'y plonge avec délice, perdus dans les grands espace et dans cette foule de personnages qui se croisent et se recroisent puis finissent par se rencontrer.


Editeur : Rivages
Date de parution : 21 août 2013
EAN : 9782330022600
Prix TTC : 19 euros (grand format)

mardi 13 mai 2014

"Kinderzimmer" de Valentine Goby


Mila, prisonnière politique française, arrive au camp de Ravensbrück enceinte. Une première personne la sauve en lui conseillant de ne pas révéler son état. Puis c'est une succession de chances, de gestes, de coups de pouce au hasard, de résistances, d'états mentaux positifs et de rencontres.On pourrait presque appeler ce texte "Si c'est une femme" car Valentine Goby décrit très précisément et de l'intérieur ce camp de travail pour femmes qui se transforme peu à peu en camp d'extermination. Elle montre les corps qui maigrissent, les peaux qui se fripent, les amies qui meurent, les bébés dodus des femmes qui viennent d'arriver et ceux, maigres, blancs et fripés, des femmes qui sont là depuis le début de leur grossesse.Mais au delà de ce devoir de mémoire, de cette exposition de l'Histoire racontée par le prisme d'une histoire, il y a la question que se pose Mila. C'est une jeune femme de la classe de lycée où elle intervient, plusieurs décennies après les camps, qui la soulève : à quel moment ai-je su que j'étais à Ravensbrück? De quoi est fait mon souvenir? N'ai-je pas réécrit mon expérience à la lumière de tous les témoignages que j'ai reçu ou donné, et répété?Dans ce temps long qu'est la vie au camp où seul le changement des saisons permet de dire que le temps passe, les circonvolutions de la mémoire ont interrogé Mila. Mois après mois, elle se met petit à petit à vouloir se souvenir. Elle se répète des séries de dates, de moments, d'événements. Peut-être se met-elle alors à sentir qu'il y aura une fin à tout cela. Peut-être prépare-t-elle déjà son témoignage car elle sait l'inouï de ce qu'elle vit.En tant que lecteur de ce roman, il ne faut cependant pas oublier que derrière ces mots, c'est une romancière qui se cache, une romancière avec sa propre interrogation : la littérature peut-elle reconstituer le passé comme un temps présent?  Peut-elle reconstituer une mémoire forcément partielle, inscrite sur des petits bouts de papier gris à la mine de graphite?La réponse est : oui. Après les récits de témoin, c'est à la littérature de reprendre le flambeau. Valentine Goby le dit en ces termes à la fin du roman : « Peut-être un jour y aura-t-il des gens, comme cette jeune fille à l’anneau rouge, pour vouloir démêler les regards, déconstruire l’histoire, revenir à la peau, à l’instant, à la naissance des choses, à l’ignorance, au début de tout, quand on ne pouvait pas dire : j’ai marché jusqu’au camp de Ravensbrück, parce qu’on ne connaissait pas ce mot, quand les femmes qui n’avaient pas vu de lac n’imaginaient pas qu’il en existait un. Peut-être cette fille à l’anneau rouge trouvera ainsi le moyen de se tenir à l’endroit où se tenait Mila en avril 1944, là où Mila ne savait rien encore. Là où il n’y avait qu’ignorance. Il faudra écrire des romans pour revenir en arrière, avant les événements, au début de tout. »Un texte marquant.


Editeur : Actes Sud
Date de parution : 21 août 2013
EAN : 9782330022600
Prix TTC : 19 euros (grand format)

lundi 12 mai 2014

"La pluie d'été" de Marguerite Duras

C'est un livre déroutant comme on les aime. Une impression forte de décalage s'en dégage dès les premières pages. Je me sentais dans un écho à La vie devant soi d'Émile Ajar. Et puis - c'est le moment de ma lecture qui a déterminé cela - les mots se sont peu à peu détachés et ont pris du relief dans ma bouche car j'ai enfin pris le temps de les lire à haute voix dans ma tête. Il n'y a qu'un moyen de saisir la subtilité de l'écriture de Marguerite Duras, dans les interstices du parler populaire de cette famille d'immigrés slaves dans les environs de Vitry, aux abords d'une vieille autoroute, et c'est celui-là. Les paroles des personnages, mis en page la plupart du temps comme dans un texte de théâtre, sont en apparence maladroites, mal dégrossies et même à la limite de l'incohérence. De même on ne comprend pas dans un premier temps le comportement de l'instituteur, béat devant cet enfant de 10 ans qu'est Ernesto et qui refuse de retourner à l'école car il ne souhaite pas qu'on lui apprenne ce qu'il ne sait pas. Mais le vrai mystère ne réside pas là:  Ernesto n'aurait pas 10 ans et loin d'être un enfant déscolarisé, il serait un petit génie des connaissances, un tel prodige qu'il en attire les journalistes (la caricature de celui du "Fi-Fi littéraire" est savoureuse). Sa famille, son père, sa mère, "ses brothers et ses sisters" et tout particulièrement sa sœur Jeanne - où la fusion ira jusqu'à l'inceste - l'aiment si fort qu'ils redoutent le moment où il devra les quitter. L'étrangeté se transforme alors en attachement.




Editeur : Folio
Date de parution : 15 mars 1994
EAN : 9782070387052
Prix TTC : 6,20 euros (format poche)

vendredi 11 avril 2014

"En finir avec Eddy Bellegueule" d'Edouard Louis

Ce succès de librairie est le texte d'un jeune normalien de 21 ans, Édouard Louis, de son nom de baptême Eddy Bellegueule. Sa quatrième de couverture affiche l'ambition de comprendre pourquoi c'est la fuite qui s'est imposée à lui vers l'âge de 16 ans: fuir son village, sa famille, ces lieux où la honte de son homosexualité l'emporte sur tout. Mais le texte manque de souffle. Il ne peut "expliquer" son envie de fuir car au fond il n'y a rien à expliquer: l'évidence de la non coïncidence absolue entre son identité et le milieu dans lequel il évolue s'impose très vite et ses tentatives d'explications, dans toute la première partie du texte, aboutissent à montrer son village comme on exhibe un monstre. C'est un monde pétri de clichés, de conventions morales, de fonctionnements archaïques et j'ai eu parfois le sentiment de regarder l'émission Striptease, aux limites du voyeurisme. Quelques chapitres montrent ses tentatives de refouler celui qu'il est, les stratégies qu'il met en place. Ces mots sont les plus intéressants du texte car les plus intimes sur ce combat mené pour se conformer à l'image dominante du mâle qui existe dans son milieu.
Les derniers mots de l'épilogue, eux, sonnent un peu faux. Il évoque au fil de ses pensées, comme un flux de conscience qui ouvrirait sur l'avenir, entre prose et poésie, sa vie au lycée, la construction de cet "autre monde" qu'il appelait de ses vœux:


"Quelqu'un arrive.
Tristan.
Il m'interpelle
Alors Eddy, toujours aussi pédé?
Les autres rient.


Moi aussi."

Je lui répondrais: « Soit. » 


Editeur : Seuil
Date de parution : 3 janvier 2014
EAN : 9782021117707
Prix TTC : 17 euros (grand format)

mercredi 9 avril 2014

"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal

Simon Limbres est jeune. Parents séparés. Bougon comme peut l'être un adolescent. Mais il aime. Juliette d'abord qu'il a vaguement présenté à ses parents, Marianne et Sean. Le surf ensuite, à un point tel qu'il est prêt à se lever à l'aube pour rejoindre ses camarades en bas de leur immeuble et s'engouffrer dans leur van puis dans les vagues à l'orée du week-end.
Réparer les vivants nous parle du cœur, des poumons et du foie de Simon. Il nous parle du vertige qui saisit Marianne et Sean lorsqu'ils apprennent que leur fils est mort bien que sa poitrine se soulève encore au rythme régulier de l'assistance respiratoire ; vertige qui saisit Alice, l'interne de Versilio, lorsqu'elle voit Simon juste après les prélèvements non pas comme un corps mort mais comme une personne qui a vécu, somme de moments de joie et d'anecdotes ; vertige qui saisit le médecin de service lorsqu'il comprend que le choc de l'accident a été trop fort et qu'il ne pourra réveiller Simon.
Maylis de Kerangal innonde son texte, baigne les acteurs de cette histoire - parents, enfants, amis, médecin urgentiste, infirmière, chargé de coordination transplantation, référent transplantation, médecin du coeur ou encore médecin hépatiste - d'humanité. En évoquant des morceaux de vie de toutes ces personnes qui évoluent autour de ce moment de vertige, autour de cette béance inimaginable, celle d'une frontière floue entre la vie et la mort, elle rend cette cérémonie du passage, celle que l'on imagine guère, encore moins que l'on envisage de perdre un proche, possible.
Si l'on vit un jour cette situation, peut-être que nous ne verrons pas de la même manière les soignants, les médecins et les coordinateurs qui non seulement nous annoncent l'impensable, la mort d'un proche, mais nous demandent l'impossible, autoriser le prélèvement de certains organes. Ce texte nous montre toutes les étapes, tous les rouages si bien huilés de la transplantation d'organes, nous fait survoler la France du donneur au receveur, d'une famille en deuil à une autre pleine d'espoir en l'avenir.
Les mots de Maylis de Kerengal sont denses, ses phrases sont charnues. On pourrait percevoir dans un premier temps une forme d'accumulation, peu aisée à aborder. Mais bientôt cette accumulation parvient à dire cet indicible, tourne autour des sensations ressenties, des chocs qui raisonnent, pour mieux les dire par de multiples fragments qui sont autant de miroirs réfléchissant les multiples facettes de cette histoire humaine.
Chapeau.



Editeur : Verticales
Date de parution : 2 janvier 2014
EAN : 9782070144136
Prix : 18 euros (grand format)