vendredi 27 avril 2018

"Paroles d'honneur" de Leïla Slimani et Laetitia Coryn


Leïla Slimani, grande militante féministe, est connue pour ses romans - on se souvient de Chanson douce récompensée par le prestigieux Prix Goncourt - mais son engagement pour porter la parole des femmes sait épouser d’autres contours et s’incarne cette fois-ci dans une bande dessinée, ou plutôt un roman graphique, réalisé en collaboration avec Laetitia Coryn.

Leïla y joue son propre rôle lorsqu’elle a recueilli de nombreux témoignages de femmes, et d’hommes, autour de la place des femmes et du rapport à la sexualité dans la société tunisienne, témoignages d’abord publiés dans un essai, aux mêmes éditions Les Arènes. Leïla rencontre des femmes célibataires, en partie rejetées par la société pour avoir fait le choix de ne pas se marier. Elle rencontre aussi des hommes qui regrettent de ne pas pouvoir vivre leur jeunesse en nouant des relations avec des femmes avant le mariage. Il faut savoir en effet que les relations sexuelles hors mariage sont interdites par la loi (et ne parlons pas des relations homosexuelles). Les hommes fréquentent des femmes hors mariage mais ne veulent pas qu’on en parle - on se souvient du choc que le film Much loved, retraçant le parcours de prostituées tunisiennes, a suscité au moment de sa sortie - et ne veulent pas se marier avec elle au moment où la question du mariage vient à se poser. Une des témoins de ce roman graphique raconte même le choc qu’elle a eu lors d'un échange avec un de ses amis étudiant en sciences sociales : il n’était pas le moins du monde choqué de dire qu’il ne se marierait jamais avec la jeune femme qu’il fréquentait pourtant depuis plus d’un an car elle n’était pas vierge ! Nous sommes bel et bien dans l’hypocrisie la plus totale. Mais l’espoir est permis ! C’est d'ailleurs le message que porte cette bande dessinée : la parole se libère, les esprits évoluent, les femmes partagent leurs expériences, les hommes envisagent aussi cette évolution. Elle finira par advenir. Et on leur souhaite ! 


Editeur : Les arènes
Date de parution : 6 septembre 2017
EAN papier : 9782352046547
106 pages

lundi 2 avril 2018

"Un personnage de roman" de Philippe Besson


Très intriguée par le fait que Philippe Besson, que j’ai déjà lu à plusieurs reprises, sorte un livre sur le parcours d’Emmanuel M. (il a fait le choix de nommer ses personnages à la Duras), j’ai fini par l’acheter au grès de mes passages en librairie. Je l’ai lu avec plaisir, de bout en bout, en quelques jours. Malgré l’issue connue de tous, Emmanuel M. a été élu contre toute attente président de la République française, ce livre est rédigé comme une enquête où les enquêteurs que nous sommes, avec la complicité de l’auteur, cherchent des indices pouvant expliquer l’événement. Mais c’est une enquête où le meurtre n’aurait pas encore été commis. Ce texte - que l’on aurait a priori bien du mal à nommer « roman » - est une chronique écrite au fil de l’eau, prise sur le vif et partageant de nombreux moments personnels et de nombreuses paroles des protagonistes - Emmanuel M., Brigitte M. ou encore Bertrand D. L’auteur nous partage ses pensées et ses réflexions du moment mais il joue aussi le double jeu du romancier qui connaît déjà la fin de l’histoire et cherche à entrer en connivence avec son lecteur en l’évoquant entre les lignes. Mais le romancier tutoie le témoin. Que penser ainsi de l’aspect documentaire ? Peut-on mieux comprendre Emmanuel Macron en lisant le récit de l’ascension d’Emmanuel M. ? Je pense que oui même si le doute demeure quant à la complétude des éléments qui sont mis à notre disposition pour comprendre les tenants et aboutissants de tout cela. Philippe Besson reconnaît d’ailleurs lui-même la complexité qui est la sienne : être proche du candidat tout en écrivant de la manière la plus neutre possible, avec l’œil du romancier qui cherche à recueillir et à partager avec son lecteur les aspects « héroïques » de son « personnage de roman ». Il se surprend parfois à lui donner des conseils sur sa manière de parler ou sur les sentiments qu’il doit susciter. Quoi qu’il en soit, le propos ne se veut pas objectif et sa force réside dans sa manière de saisir le sujet comme un romancier : façonner un personnage qui incarne totalement et jusqu’au bout un parcours de façon très déterminé. Je fais référence ici à la célèbre phrase d’Albert Camus, si souvent utilisée dans les sujets de dissertation : « Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin. » Quel sera celui d’Emmanuel Macron ? Emmanuel M. ne nous le dit pas ! 


Editeur : Julliard
Date de parution : 7 septembre 2017
EAN papier : 9782260030072
216 pages

dimanche 25 mars 2018

"Les chutes" de Melchior



De retour du salon du livre avec ma brassée de publications du Diable Vauvert, je me suis immédiatement plongée dans la lecture des Chutes de Melchior, un jeune auteur fou fou que j’ai eu la chance de croiser sur le stand. De courts chapitres, quelques haikus perdus au fil de pages : la poésie me manquait, la retrouverai-je dans ce texte de jeunesse? La réponse est oui ! J’ai dévoré ce livre en quelques heures et le relirai avec plaisir dans quelques mois ou quelques années comme on relit de la poésie pour qu’elle prenne, à chaque lecture, un sens subtilement différent. Ces lignes contiennent une grande énergie, de la révolte, de la folie, de l’amour. De nombreux hommages à Rimbaud, Baudelaire et probablement d’autres donnent un sentiment de familiarité à cette poésie d’une grande modernité. Voici un petit extrait qui vous donnera, je l’espère, le goût de le lire : 

« J’ai déjà, trois fois, refait le monde sous ma douche. Comme une éponge trop serrée, je gicle des pensées chaudes qui tombent sur le carrelage en un clapotis de flaque. Je me vois dictateur, champion, révolutionnaire, pianiste, pompier, prince et poète. Poète surtout. Je veux jeter les mots comme des grenades, compter jusqu’à trois et rire un bon coup. Je veux à tout prix savoir dire ce qui prend trop de place dans mon torse. Je vis à l’étroit entre mes côtes et je transpire des gouttes de rage et d’épuisement. Sortir de soi. Devenir un bon mot, une page, n’être que ce qu’on a fait de meilleur. Ne plus avoir honte. Oui, c’est peut-être ça le plus beau. Ne plus avoir honte. Marcher dans Paris comme un de ces enfants, orphelins des rêves, qui savent que chaque banc, chaque sourire, chaque petit pièce, est à eux. Marcher fier, comme un extravagant. En voilà un rêve. Ne plus sentir l’étau se resserrer de chaque côté de ma tête avant de dormir. Ne plus regretter d’avoir trop fait ou de ne pas avoir fait assez. Vivre d’avoir fait tout court. Être un chien sans collier, mais couvert de tatouages qui se balade impuni et pisse où bon lui semble. »



Editeur : Au diable Vauvert
Date de parution : 15 mars 2018
EAN papier : 9791030701760
144 pages