vendredi 11 avril 2014

"En finir avec Eddy Bellegueule" d'Edouard Louis

Ce succès de librairie est le texte d'un jeune normalien de 21 ans, Édouard Louis, de son nom de baptême Eddy Bellegueule. Sa quatrième de couverture affiche l'ambition de comprendre pourquoi c'est la fuite qui s'est imposée à lui vers l'âge de 16 ans: fuir son village, sa famille, ces lieux où la honte de son homosexualité l'emporte sur tout. Mais le texte manque de souffle. Il ne peut "expliquer" son envie de fuir car au fond il n'y a rien à expliquer: l'évidence de la non coïncidence absolue entre son identité et le milieu dans lequel il évolue s'impose très vite et ses tentatives d'explications, dans toute la première partie du texte, aboutissent à montrer son village comme on exhibe un monstre. C'est un monde pétri de clichés, de conventions morales, de fonctionnements archaïques et j'ai eu parfois le sentiment de regarder l'émission Striptease, aux limites du voyeurisme. Quelques chapitres montrent ses tentatives de refouler celui qu'il est, les stratégies qu'il met en place. Ces mots sont les plus intéressants du texte car les plus intimes sur ce combat mené pour se conformer à l'image dominante du mâle qui existe dans son milieu.
Les derniers mots de l'épilogue, eux, sonnent un peu faux. Il évoque au fil de ses pensées, comme un flux de conscience qui ouvrirait sur l'avenir, entre prose et poésie, sa vie au lycée, la construction de cet "autre monde" qu'il appelait de ses vœux:


"Quelqu'un arrive.
Tristan.
Il m'interpelle
Alors Eddy, toujours aussi pédé?
Les autres rient.


Moi aussi."

Je lui répondrais: « Soit. » 


Editeur : Seuil
Date de parution : 3 janvier 2014
EAN : 9782021117707
Prix TTC : 17 euros (grand format)

mercredi 9 avril 2014

"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal

Simon Limbres est jeune. Parents séparés. Bougon comme peut l'être un adolescent. Mais il aime. Juliette d'abord qu'il a vaguement présenté à ses parents, Marianne et Sean. Le surf ensuite, à un point tel qu'il est prêt à se lever à l'aube pour rejoindre ses camarades en bas de leur immeuble et s'engouffrer dans leur van puis dans les vagues à l'orée du week-end.
Réparer les vivants nous parle du cœur, des poumons et du foie de Simon. Il nous parle du vertige qui saisit Marianne et Sean lorsqu'ils apprennent que leur fils est mort bien que sa poitrine se soulève encore au rythme régulier de l'assistance respiratoire ; vertige qui saisit Alice, l'interne de Versilio, lorsqu'elle voit Simon juste après les prélèvements non pas comme un corps mort mais comme une personne qui a vécu, somme de moments de joie et d'anecdotes ; vertige qui saisit le médecin de service lorsqu'il comprend que le choc de l'accident a été trop fort et qu'il ne pourra réveiller Simon.
Maylis de Kerangal innonde son texte, baigne les acteurs de cette histoire - parents, enfants, amis, médecin urgentiste, infirmière, chargé de coordination transplantation, référent transplantation, médecin du coeur ou encore médecin hépatiste - d'humanité. En évoquant des morceaux de vie de toutes ces personnes qui évoluent autour de ce moment de vertige, autour de cette béance inimaginable, celle d'une frontière floue entre la vie et la mort, elle rend cette cérémonie du passage, celle que l'on imagine guère, encore moins que l'on envisage de perdre un proche, possible.
Si l'on vit un jour cette situation, peut-être que nous ne verrons pas de la même manière les soignants, les médecins et les coordinateurs qui non seulement nous annoncent l'impensable, la mort d'un proche, mais nous demandent l'impossible, autoriser le prélèvement de certains organes. Ce texte nous montre toutes les étapes, tous les rouages si bien huilés de la transplantation d'organes, nous fait survoler la France du donneur au receveur, d'une famille en deuil à une autre pleine d'espoir en l'avenir.
Les mots de Maylis de Kerengal sont denses, ses phrases sont charnues. On pourrait percevoir dans un premier temps une forme d'accumulation, peu aisée à aborder. Mais bientôt cette accumulation parvient à dire cet indicible, tourne autour des sensations ressenties, des chocs qui raisonnent, pour mieux les dire par de multiples fragments qui sont autant de miroirs réfléchissant les multiples facettes de cette histoire humaine.
Chapeau.



Editeur : Verticales
Date de parution : 2 janvier 2014
EAN : 9782070144136
Prix : 18 euros (grand format)