mercredi 31 mars 2021

"Le consentement" de Vanessa Springora

Le consentement de Vanessa Springora retrace le cheminement de pensée erroné qui a pu exister il y a quelques années concernant les relations entre des mineurs et des adultes beaucoup plus âgés qu’eux. 

Dans les premières pages, il nous semble que Vanessa Springora nous raconte en toute simplicité son histoire d’amour avec G. On se surprend presque à penser qu’elle va bien et que cela semble lui convenir. On reste surpris par l’attitude de sa mère qui cautionne cette relation et invite même G. à déjeuner. 

Mais au fil des pages, en retraçant son propre cheminement de pensée, on comprend que cette « histoire d’amour » (une « histoire d’emprise » faudrait-il dire) sera le déclencheur d’une entreprise de destruction et que la victime se débattra pendant des décennies contre les répercussions de cette histoire. Ayant été en partie actrice de cet épisode, la culpabilité que va ressentir V. (l’autrice se nomme ainsi dans le roman, de la même manière que G. la nomme dans ses propres écrits, signe très révélateur de cette emprise infinie) mène à l’autodestruction. 

Ce qui m’effare et me rassure à la fois, car ce ne serait plus possible aujourd’hui, c’est que ce mouvement de pensée post-soixante-huitards n’ait pas été choqué par de telles relations. Comme si la libération sexuelle ne pouvait être que libération et en aucun cas à l’origine de blessures et de privation de liberté. Aujourd’hui, la société a évolué mais il reste encore beaucoup de chemin à accomplir eu égard au faible volume de condamnations dans nos tribunaux. L’expression « Qui ne dit mot consent » n’a jamais autant paru si fausse et si dévastatrice. Le consentement : un livre libérateur et utile.



Editeur : Le Livre de Poche
Date de parution : 06/01/2021
EAN papier : 9782253101567
216 pages

lundi 22 février 2021

"Thésée, sa vie nouvelle" de Camille de Toledo



Thésée, sa vie nouvelle est un texte protéiforme, tout à la fois récit et poésie. Le lecteur est plongé dans les pensées de Thésée dès les premières pages et ce flux de conscience épouse les formes de la poésie. Nous avons le sentiment de lire ses pensées au fil de leur apparition dans son esprit. Nous sentons le temps passer. Nous réfléchissons avec lui. Nous nous inquiétons, essayons de comprendre à ses côtés. Thésée a en effet entamé une enquête sur l’origine du malheur qui frappe sa famille. Son frère aîné s’est suicidé il y a quelques années de cela et ses parents sont morts l’un après l’autre peu de temps après. Et aujourd’hui, alors qu’il habite une autre ville, dans laquelle il a déménagé pour fuir son histoire familiale, le mal semble l’avoir rattrapé. Ses os lui font mal, ses dents pourrissent, ses muscles se contractent. Il se lance alors dans une enquête, ouvre les cartons qu’il avait emmenés avec lui, et mène à bien son archéologie familiale. Il regarde les photos, relit les lettres, étale toutes ces pièces à conviction sur le sol et sur les murs comme un enquêteur de la police judiciaire. Il remonte à quelques générations dans le passé pour tenter de comprendre d’où vient le mal. Je vous recommande ce très beau texte captivant pour la beauté de sa forme, pour les questions qu’il soulève, et pour les tentatives de réponse qu’il donne. Thésée semble se perdre dans ce labyrinthe qu'est sa vie et son histoire familiale : on pourrait le croire perdu mais il s’accroche et n’abandonne pas sa quête. Ce texte mérite pleinement, à mon sens, sa sélection au prix Goncourt de l’année 2020. Merci aux éditions Verdier de l’avoir publié. 



Editeur : Verdier
Date de parution : août 2020
EAN papier : 9782378560775
256 pages

dimanche 25 octobre 2020

"Apeirgon" de Column McCann


Après la lecture enthousiaste qu’en avait fait Le Monde dans un de ses articles sur la rentrée littéraire 2020, j’ai immédiatement acquis cet ouvrage dans la première librairie rencontrée. La forme fragmentée m’attirait, aux limites de la poésie, et le lieu, à la frontière perméable entre Israël et Palestine, m’intéressait. 

Nous avançons dans le récit via mille et une facettes qui, toutes ensembles, construisent l’œuvre, repoussant la mort et les ténèbres comme dans Les Mille et une nuits. L'auteur construit ainsi, chapitre après chapitre, un Apeirogon : une "figure géométrique au nombre infini de côtés". Sur ces facettes s'affichent tour à tour des observations éthologiques, des fragments de récit, des pensées brèves mais fulgurantes, des tranches de vie ou même des photos insérées au milieu du texte. Elles s’articulent comme un tout signifiant mais révélateur de chaos. Car c'est bien de chaos qu'il s'agit : celui qui anime le cœur des hommes vivant dans ces confins et que certains tentent de combattre tant bien que mal via cet engagement très fort dans les Combattants pour la paix. 

Je me suis toujours demandée comment israéliens et palestiniens vivaient au quotidien. Ce livre en est un témoignage très précis, très riche et très sincère, sans jugement mais répétant inlassablement les paroles de paix de Bassam et Rami, pères de deux jeunes filles, l’une israélienne, l’autre palestinienne, tuées alors qu’elles se baladaient, par un kamikaze pour l'une et par une balle perdue pour l'autre. 

Un livre très puissant qui me laissera pendant longtemps un vif souvenir. 



Editeur : Belfond
Date de parution : 20 août 2020
EAN papier : 9782714450081
512 pages

vendredi 27 avril 2018

"Paroles d'honneur" de Leïla Slimani et Laetitia Coryn


Leïla Slimani, grande militante féministe, est connue pour ses romans - on se souvient de Chanson douce récompensée par le prestigieux Prix Goncourt - mais son engagement pour porter la parole des femmes sait épouser d’autres contours et s’incarne cette fois-ci dans une bande dessinée, ou plutôt un roman graphique, réalisé en collaboration avec Laetitia Coryn.

Leïla y joue son propre rôle lorsqu’elle a recueilli de nombreux témoignages de femmes, et d’hommes, autour de la place des femmes et du rapport à la sexualité dans la société tunisienne, témoignages d’abord publiés dans un essai, aux mêmes éditions Les Arènes. Leïla rencontre des femmes célibataires, en partie rejetées par la société pour avoir fait le choix de ne pas se marier. Elle rencontre aussi des hommes qui regrettent de ne pas pouvoir vivre leur jeunesse en nouant des relations avec des femmes avant le mariage. Il faut savoir en effet que les relations sexuelles hors mariage sont interdites par la loi (et ne parlons pas des relations homosexuelles). Les hommes fréquentent des femmes hors mariage mais ne veulent pas qu’on en parle - on se souvient du choc que le film Much loved, retraçant le parcours de prostituées tunisiennes, a suscité au moment de sa sortie - et ne veulent pas se marier avec elle au moment où la question du mariage vient à se poser. Une des témoins de ce roman graphique raconte même le choc qu’elle a eu lors d'un échange avec un de ses amis étudiant en sciences sociales : il n’était pas le moins du monde choqué de dire qu’il ne se marierait jamais avec la jeune femme qu’il fréquentait pourtant depuis plus d’un an car elle n’était pas vierge ! Nous sommes bel et bien dans l’hypocrisie la plus totale. Mais l’espoir est permis ! C’est d'ailleurs le message que porte cette bande dessinée : la parole se libère, les esprits évoluent, les femmes partagent leurs expériences, les hommes envisagent aussi cette évolution. Elle finira par advenir. Et on leur souhaite ! 


Editeur : Les arènes
Date de parution : 6 septembre 2017
EAN papier : 9782352046547
106 pages

lundi 2 avril 2018

"Un personnage de roman" de Philippe Besson


Très intriguée par le fait que Philippe Besson, que j’ai déjà lu à plusieurs reprises, sorte un livre sur le parcours d’Emmanuel M. (il a fait le choix de nommer ses personnages à la Duras), j’ai fini par l’acheter au grès de mes passages en librairie. Je l’ai lu avec plaisir, de bout en bout, en quelques jours. Malgré l’issue connue de tous, Emmanuel M. a été élu contre toute attente président de la République française, ce livre est rédigé comme une enquête où les enquêteurs que nous sommes, avec la complicité de l’auteur, cherchent des indices pouvant expliquer l’événement. Mais c’est une enquête où le meurtre n’aurait pas encore été commis. Ce texte - que l’on aurait a priori bien du mal à nommer « roman » - est une chronique écrite au fil de l’eau, prise sur le vif et partageant de nombreux moments personnels et de nombreuses paroles des protagonistes - Emmanuel M., Brigitte M. ou encore Bertrand D. L’auteur nous partage ses pensées et ses réflexions du moment mais il joue aussi le double jeu du romancier qui connaît déjà la fin de l’histoire et cherche à entrer en connivence avec son lecteur en l’évoquant entre les lignes. Mais le romancier tutoie le témoin. Que penser ainsi de l’aspect documentaire ? Peut-on mieux comprendre Emmanuel Macron en lisant le récit de l’ascension d’Emmanuel M. ? Je pense que oui même si le doute demeure quant à la complétude des éléments qui sont mis à notre disposition pour comprendre les tenants et aboutissants de tout cela. Philippe Besson reconnaît d’ailleurs lui-même la complexité qui est la sienne : être proche du candidat tout en écrivant de la manière la plus neutre possible, avec l’œil du romancier qui cherche à recueillir et à partager avec son lecteur les aspects « héroïques » de son « personnage de roman ». Il se surprend parfois à lui donner des conseils sur sa manière de parler ou sur les sentiments qu’il doit susciter. Quoi qu’il en soit, le propos ne se veut pas objectif et sa force réside dans sa manière de saisir le sujet comme un romancier : façonner un personnage qui incarne totalement et jusqu’au bout un parcours de façon très déterminé. Je fais référence ici à la célèbre phrase d’Albert Camus, si souvent utilisée dans les sujets de dissertation : « Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin. » Quel sera celui d’Emmanuel Macron ? Emmanuel M. ne nous le dit pas ! 


Editeur : Julliard
Date de parution : 7 septembre 2017
EAN papier : 9782260030072
216 pages

dimanche 25 mars 2018

"Les chutes" de Melchior



De retour du salon du livre avec ma brassée de publications du Diable Vauvert, je me suis immédiatement plongée dans la lecture des Chutes de Melchior, un jeune auteur fou fou que j’ai eu la chance de croiser sur le stand. De courts chapitres, quelques haikus perdus au fil de pages : la poésie me manquait, la retrouverai-je dans ce texte de jeunesse? La réponse est oui ! J’ai dévoré ce livre en quelques heures et le relirai avec plaisir dans quelques mois ou quelques années comme on relit de la poésie pour qu’elle prenne, à chaque lecture, un sens subtilement différent. Ces lignes contiennent une grande énergie, de la révolte, de la folie, de l’amour. De nombreux hommages à Rimbaud, Baudelaire et probablement d’autres donnent un sentiment de familiarité à cette poésie d’une grande modernité. Voici un petit extrait qui vous donnera, je l’espère, le goût de le lire : 

« J’ai déjà, trois fois, refait le monde sous ma douche. Comme une éponge trop serrée, je gicle des pensées chaudes qui tombent sur le carrelage en un clapotis de flaque. Je me vois dictateur, champion, révolutionnaire, pianiste, pompier, prince et poète. Poète surtout. Je veux jeter les mots comme des grenades, compter jusqu’à trois et rire un bon coup. Je veux à tout prix savoir dire ce qui prend trop de place dans mon torse. Je vis à l’étroit entre mes côtes et je transpire des gouttes de rage et d’épuisement. Sortir de soi. Devenir un bon mot, une page, n’être que ce qu’on a fait de meilleur. Ne plus avoir honte. Oui, c’est peut-être ça le plus beau. Ne plus avoir honte. Marcher dans Paris comme un de ces enfants, orphelins des rêves, qui savent que chaque banc, chaque sourire, chaque petit pièce, est à eux. Marcher fier, comme un extravagant. En voilà un rêve. Ne plus sentir l’étau se resserrer de chaque côté de ma tête avant de dormir. Ne plus regretter d’avoir trop fait ou de ne pas avoir fait assez. Vivre d’avoir fait tout court. Être un chien sans collier, mais couvert de tatouages qui se balade impuni et pisse où bon lui semble. »



Editeur : Au diable Vauvert
Date de parution : 15 mars 2018
EAN papier : 9791030701760
144 pages

lundi 11 septembre 2017

"Manifeste des oeuvriers" de Roland Gori, Bernard Lubat et Charles Silvestre


Avec la trentaine vient l’envie de lire des essais. Je ne sais pas pour vous mais pour moi, c’est le cas. Je suis tombée à plusieurs reprises sur de petits titres d’une co-édition Actes Sud / Les Liens qui Libèrent (LLL). Cette collection insuffle un souffle puissant de vie et de positif. Non, tout n’est pas plié pour qui veut se battre pour que le monde soit meilleur. Non le monde d’aujourd’hui ne sera pas celui de demain. Et il appartient à tout à chacun de faire en sorte qu’il change dans le bon sens.

Ce petit texte d’une soixantaine de pages veut remettre au coeur du monde les oeuvres. Contre le travail à la chaîne, contre les entreprises mondiales à taille inhumaine, contre les relations désincarnées, il s’agit de faire oeuvre dans tous les domaines. Il ne s’agit pas que de l’artiste dont il est facile de reconnaître qu’il fait oeuvre. Il s’agit également de l’infirmière qui refuse le diktat de la rentabilité et qui accepte de perdre quelques instants pour plonger son regard dans celui de la personne qu’elle visite ou pour effectuer le mieux possible un soin. Ou encore du magistrat qui, loin de n’appliquer que la loi à la lettre, travaille avec la matière humaine et prend en compte cette dimension dans son interprétation de la loi. Oeuvrier et non simplement oeuvre car l’oeuvre ne peut naître que du travail, que de l’homme en tant qu’agissant, acteur, ouvrier. Nul concept désincarné mais de l’action. Contre le désoeuvrement, ce livre nous encourage chacun à faire oeuvre, à construire, à produire, à faire des choses de qualité et qui ont du sens pour nous. Ainsi, nous pourrons redonner du sens à notre quotidien.



Editeur : Actes Sud / Les Liens qui libèrent
Date de parution : avril 2017
EAN papier : 9782330076870
74 pages