mardi 13 mai 2014

"Kinderzimmer" de Valentine Goby


Mila, prisonnière politique française, arrive au camp de Ravensbrück enceinte. Une première personne la sauve en lui conseillant de ne pas révéler son état. Puis c'est une succession de chances, de gestes, de coups de pouce au hasard, de résistances, d'états mentaux positifs et de rencontres.On pourrait presque appeler ce texte "Si c'est une femme" car Valentine Goby décrit très précisément et de l'intérieur ce camp de travail pour femmes qui se transforme peu à peu en camp d'extermination. Elle montre les corps qui maigrissent, les peaux qui se fripent, les amies qui meurent, les bébés dodus des femmes qui viennent d'arriver et ceux, maigres, blancs et fripés, des femmes qui sont là depuis le début de leur grossesse.Mais au delà de ce devoir de mémoire, de cette exposition de l'Histoire racontée par le prisme d'une histoire, il y a la question que se pose Mila. C'est une jeune femme de la classe de lycée où elle intervient, plusieurs décennies après les camps, qui la soulève : à quel moment ai-je su que j'étais à Ravensbrück? De quoi est fait mon souvenir? N'ai-je pas réécrit mon expérience à la lumière de tous les témoignages que j'ai reçu ou donné, et répété?Dans ce temps long qu'est la vie au camp où seul le changement des saisons permet de dire que le temps passe, les circonvolutions de la mémoire ont interrogé Mila. Mois après mois, elle se met petit à petit à vouloir se souvenir. Elle se répète des séries de dates, de moments, d'événements. Peut-être se met-elle alors à sentir qu'il y aura une fin à tout cela. Peut-être prépare-t-elle déjà son témoignage car elle sait l'inouï de ce qu'elle vit.En tant que lecteur de ce roman, il ne faut cependant pas oublier que derrière ces mots, c'est une romancière qui se cache, une romancière avec sa propre interrogation : la littérature peut-elle reconstituer le passé comme un temps présent?  Peut-elle reconstituer une mémoire forcément partielle, inscrite sur des petits bouts de papier gris à la mine de graphite?La réponse est : oui. Après les récits de témoin, c'est à la littérature de reprendre le flambeau. Valentine Goby le dit en ces termes à la fin du roman : « Peut-être un jour y aura-t-il des gens, comme cette jeune fille à l’anneau rouge, pour vouloir démêler les regards, déconstruire l’histoire, revenir à la peau, à l’instant, à la naissance des choses, à l’ignorance, au début de tout, quand on ne pouvait pas dire : j’ai marché jusqu’au camp de Ravensbrück, parce qu’on ne connaissait pas ce mot, quand les femmes qui n’avaient pas vu de lac n’imaginaient pas qu’il en existait un. Peut-être cette fille à l’anneau rouge trouvera ainsi le moyen de se tenir à l’endroit où se tenait Mila en avril 1944, là où Mila ne savait rien encore. Là où il n’y avait qu’ignorance. Il faudra écrire des romans pour revenir en arrière, avant les événements, au début de tout. »Un texte marquant.


Editeur : Actes Sud
Date de parution : 21 août 2013
EAN : 9782330022600
Prix TTC : 19 euros (grand format)

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